Il veut. Il voudrait ou il rêve ? L’éternité s’achève, il est temps de repartir à zéro. Allez, on refait le même numéro ! Pourquoi cet espoir secret te ronge-t-il le cœur, Bastien ? De quoi as-tu peur ? Qui fait ton malheur ? Tu as donc un désir inassouvi qui ne sera jamais satisfait, une blessure secrète qui ne guérira pas. Un vain espoir !

Tu le sais, tu le comprends, tu le ressens, et c’est cela qui te fait souffrir. Haïr, toujours haïr, être jaloux des autres qui ont dès la naissance ce que tu ne pourras jamais obtenir. Être jaloux de leurs inquiétudes, de leurs faiblesses, de leurs banales angoisses quotidiennes, des petites fatigues qui leur paraissent insurmontables et qui à toi te paraîtraient merveilleuses si seulement tu pouvais les ressentir. Souffrir d’être jaloux, t’en vouloir de les haïr sans pouvoir faire autrement, serrer les dents et partir. Toujours partir, fuir de plus en plus loin, de plus en plus vite, sans limite.

Mon pauvre garçon, mais ça ne sert à rien ! Où que tu ailles ça recommencera, toujours, tu ne peux pas y échapper. Cette malédiction qui fait de toi un étranger, quelqu'un à part, isolé au milieu de cette foule à qui tu voudrais tant ressembler. Ton anomalie n’est peut-être pas flagrante comme le nez au milieu de la figure, Bastien, mais elle existe. Un jour ou l’autre ils sauront. Ils la découvriront. Et alors Elle, Elle aussi, saura. Que tu L’as trompée, que tu Lui as menti, que tu L’as trahie. Que Sa vie avec toi ne vaut pas la peine d’être vécue, qu’Elle ne peut rien en attendre de bon, rien en attendre du tout. Elle t’abandonnera…

Tu crois vraiment qu’Elle t’aimera encore alors que tu Lui refuses ce qu’Elle désire le plus ardemment ? Tu espères qu’Elle restera auprès de toi alors que tu es incapable de La retenir ? Et ce n’est même pas de ta faute ! N’est-ce pas le plus drôle, Bastien ? La vie est admirablement ironique, quand on y pense. Prends le temps d’y réfléchir, afin de saisir toute la funeste beauté de ce fantastique cercle vicieux : il y a une chose, une seule chose dans le monde, que tu meures d’envie d’avoir et que tu n’auras jamais, malgré tous les efforts que tu peux faire. C’est comme ça, tu n’y peux rien : tare génétique. Ça te rend malheureux, bien sûr. Et ça ne peut que La rendre malheureuse Elle aussi ! Tu ne peux que La faire souffrir, sans le vouloir, juste en étant ce que tu es – ou en n’étant pas ce que tu n’es pas. Tu n’es pas responsable mais coupable : bourreau et victime, assassin cadavérique, la vie que tu n’as pas choisie s’impose à toi dans toute sa cruauté. Bonne journée !