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Ce qu'est la vie
--> après la lecture de "Maus"

Un jour, on raconta une histoire à une petite fille. Une histoire de soldats, de juifs et de nazis, de chats et de souris. Et alors elle pleura, pleura et pleura encore sur un passé qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle aurait voulu vivre pour pouvoir comprendre. Un passé qu’elle devinait mais dont elle ne pouvait rien attendre… ni apprendre. On avait beau lui en parler, lui expliquer et lui montrer, elle ne pouvait s’imaginer comment cela avait pu exister. De telles horreurs avaient eu lieu qu’il était préférable de ne pas chercher à savoir, impensable de vouloir exposer à la lumière cette époque noire. La honte et la culpabilité n’étaient pas de mise pour cette fillette innocente, qui n’avait pas de sang sur les mains et qui ne vivait que dans les lendemains. À quoi bon s’interroger, se questionner sur le passé ? Quelle vérité en tirer ? Pourquoi persister ? Pourquoi exister ?

            C’est ce que l’on se demande après ça. Nous qui n’avons pas connu l’horreur et la terreur, la peur et le malheur, quel droit avons-nous d’en parler ? De l’évoquer, de nous le rappeler ? On ignore tout des souffrances vécues par nos ancêtres, des ancêtres pourtant pas si lointains dont on ne connaît rien. Quel a été leur destin ? Eux se sentent peut-être coupables d’avoir survécu par chance, par hasard ou par erreur, alors que des millions d’autres sont morts dans les mêmes circonstances ; mais nous, qui appartenons à la deuxième génération après ce traumatisme, nous nous sentons coupables de ne pas avoir été là. De ne pas avoir connu le froid, la faim et la misère. La mort. Rien n’est important en comparaison, nos insignifiantes préoccupations et nos futiles discussions ne sont qu’un glaçon à côté d’un iceberg. Et encore, un iceberg dont on ne voit que le sommet, la partie émergée. Le septième de l’horreur. Quelqu’un pourrait-il en supporter la vision dans sa globalité ? Il vaut beaucoup mieux que ce panorama soit fragmenté.

            Mais alors comment pouvons-nous vivre ? Nous qui n’avons pas connu les camps, les fours et les chambres à gaz, nous pour qui ces mots ne sont que des mots, des maux abstraits ne recouvrant aucune réalité actuelle, nous qui avons une routine quotidienne solidement ancrée dans sa morosité, comment pouvons-nous vivre ? On ne peut que se sentir petit face à la grandeur. La grandeur dans la mort, certes, mais la grandeur tout de même. Comment se créer une identité ? Comment se faire remarquer ? Quelle personne mérite même d’être remarquée ? Nous vivons dans un monde doré qui nous protège constamment. Alors vivons-nous vraiment ? En avons-nous le droit ? Ne faut-il pas souffrir pour vivre ? Avoir souffert pour avoir vécu ?

            Quand je mourrai et que je regarderai ma vie, je réfléchirai à tout ce que j’aurai fait d’important, de significatif. Aux traces que j’aurai laissées. Et je me dirai : « Il ne m’est rien arrivé d’exceptionnel. Je n’ai été qu’une femme ordinaire avec une existence ordinaire. On ne se souviendra pas de moi. » Je préférerais ne pas être obligée de me retourner. Ne pas être obligée de m’avouer que ma vie n’a été qu’une simple vie parmi d’autres, qu’elle n’a pas été unique. Que je n’ai rien fait. Rien vécu. Tout cela parce que je n’aurai jamais véritablement souffert comme eux ont souffert. Ils sont comme des maîtres ès horreur dont je n’arrive pas à suivre l’exemple, des modèles de perfection que je ne peux atteindre. Je peux me démener tant que je veux, je ne tomberai jamais aussi bas. Que pèse un chagrin d’amour contre une vie détruite sciemment et méthodiquement ? Une mauvaise note contre un tampon refusé sur un passeport ? Un déjeuner sauté contre des jours de jeûne ? Quoi que je fasse, on a déjà fait pire avant moi dans tous les domaines. Il n’y a rien que je puisse inventer. Aucune souffrance n’est assez grande, ce n’est jamais suffisant. On ne peut pas même dire qu’on ne leur arrive pas à la cheville : on ne concourt tout simplement pas dans la même catégorie. Ce n’est pas comparable. Eux, ils ont déjà gagné sans avoir rien demandé.

            Pourtant moi aussi j’ai mes souffrances et mes soucis, mes délivrances et mes ennemis. La solitude et le désarroi me prennent parfois, s’emparent de moi et ne me lâchent pas. L’équilibre est rompu, rien ne va plus. Tout est foutu. Mais alors dans la rue, quelqu’un de bien intentionné me rassure : « Ça pourrait être pire. » Et ce sésame me console ? me redonne la parole ? me rend mon âme ? me rend moins folle ? Bien sûr que non ! Je ne veux pas qu’il y ait pire que moi ; je voudrais pour une fois être la plus malheureuse de l’univers. Rien qu’une fois, une toute petite fois, juste pour avoir le droit de me plaindre, de me plaindre sans que personne n’y trouve rien à redire… Laissez-moi être malheureuse. J’y ai droit comme tout le monde. J’y ai droit autant qu’eux qui ont survécu, et même autant que les autres qui sont morts là-bas. Je réclame ce droit au malheur et je revendique ma souffrance. Alors pourquoi je ne suis pas triste ? Pourquoi je me sens coupable ? J’ai mal et cela fait mal d’avoir mal. Comme si je trichais. Ou comme si je les trahissais. Mais ce n’est pas vrai !

            Leur ombre plane au-dessus de moi. Je voudrais pouvoir les ignorer mais je ne peux pas. Je n’ose pas les mépriser et les laisser errer, je dois les regarder et les écouter me parler. Eux seuls savent ce qu’est vraiment une vie gâchée, eux seuls ont connu tous les dangers et toutes les angoisses. Ils ne m’ont rien demandé, ne m’empêchent pas, ne me privent pas d’être moi. Je ne peux même pas leur en vouloir pour ça. C’est moi qui m’en prive à cause d’eux, qui les regarde dans les yeux et ne me sens pas mieux.

            Rien ne me vient. La page blanche. Je voudrais écrire mes souffrances et je ne peux pas. Elles sont si minimes à l’échelle de l’univers ! Mais si considérables à l’échelle de ma misérable personne. Elles occupent mon espace vital et constituent mon propre univers, mon point de repère. Si je les perds, ça me libère… mais alors je ne suis plus moi. Je suis une autre qui fait semblant d’être moi. De dire que tout va bien. Que rien n’est grave.

            Et pourtant si. Mes problèmes je les aime et je les traîne dans la haine. Pourquoi voudrais-je m’en détacher ? Pourquoi voudrais-je m’en priver ? m’en extirper ? les détruire jusqu’au dernier ? Je n’ai qu’à refuser. Les conserver. Les protéger. Si je ne veux pas les résoudre je peux apprendre à vivre avec. Alors laissez-les moi. Ne me les prenez pas. Je sais qu’ils ne sont rien, mais ils sont miens. Et si ce n’est pas assez pour vous, pas assez pour eux, tant pis. Je ne veux pas l’entendre. Ce droit que je n’ai pas, je veux le prendre. Rien ne m’arrêtera. Rien ? Mais rien c’est tout ! Pour une fillette à qui l’on prend son jouet, c’est tout. Pour une fillette qui voit partir sa maman, c’est tout. Pour une fillette à qui l’on raconte une histoire de soldats, c’est tout.

            Alors qui sont-ils pour juger ? Qui sommes-nous pour juger ? Je veux vivre libre. Je veux vivre malheureuse. Après tout, si cela peut me rendre heureuse…

 

                                                  I know you don’t know what life is really worth.

                                              Bob Marley

Imaginé par Némésia dans la rubrique Etats d'âme